L’examen de la fausseté des faits dans le cadre du délit de dénonciation calomnieuse
« On ne peut pas accuser faussement et impunément1 ». C’est dans ces termes que Philippe Naepels, l’avocat de Patrick Poivre d’Arvor, justifiait le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile pour des faits de dénonciation calomnieuse à l’encontre de 16 femmes qui avaient déposé plainte contre ce dernier pour des faits de viols et d’agressions sexuelles.
En effet, il est utile de rappeler que le délit de dénonciation calomnieuse, défini à l’article 226-10 du Code pénal, ne vient pas réparer une atteinte à l’honneur mais tend à faire sanctionner une dénonciation ayant fait encourir des risques judiciaires, administratifs ou disciplinaires. Il n’est pas question ici de « laver son honneur », mais de sanctionner un usage détourné de la voie de droit.
Sur le fond, dès lors que la dénonciation répond à un certain nombre de critères2, il reviendra au plaignant de démontrer la fausseté des faits dénoncés ainsi que la mauvaise foi du dénonciateur.
La fausseté peut n’être que partielle, elle est dans certains cas irréfragablement présumée bien que le plus souvent les juges aient toute liberté pour l’apprécier. Si la dénonciation calomnieuse conduit effectivement à un débat sur la réalité des faits dénoncés, il convient de bien circonscrire la portée de la décision prononcée et de ne pas l’assimiler à un « match retour ».
Fausseté partielle ou fausseté entière
Les faits dénoncés ne doivent pas nécessairement être complètement imaginaires mais peuvent simplement se révéler « partiellement inexact » (article 226-10 CP), dès lors que « la dénaturation concerne des éléments essentiels, susceptibles d’avoir une incidence en termes de sanction3 ».
Une plainte pour viol peut ainsi conduire à une condamnation pour dénonciation calomnieuse alors même que la réalité de la pénétration est acquise, la dénaturation des faits portant ici sur le défaut de consentement allégué d’un des partenaires.
Ceci posée, il faut rappeler que dans certains cas les juges ne sont pas libres d’apprécier la fausseté des faits.
Domaine restreint de la présomption irréfragable de fausseté des faits
En effet, depuis la loi du 9 juillet 2010, toute décision devenue définitive d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu « déclarant que le fait n’a pas été commis ou que celui-ci n’est pas imputable à la personne dénoncée » fait peser une présomption irréfragable de fausseté du fait.
Les juges devront donc considérer établie la fausseté des faits en présence d’une de ces trois décisions, à la condition que celle-ci soit expressément motivée par l’absence de matérialité du délit ou d’imputabilité de celui-ci au prévenu et ne constate pas seulement la simple insuffisance de charges ou l’existence d’un doute.
La Cour de cassation4 veille à la stricte application de cette présomption et casse les arrêts qui se bornent à relever que « la réalité des violences n’était pas démontrée5 », « que la preuve des faits dénoncés n’était pas rapportée et qu’il existait à tout le moins un doute6 » ou qui constatent l’existence d’un arrêt de la chambre de l’instruction prononçant un simple non-lieu7.
En l’absence de telles décisions précisément motivées, le tribunal recouvre sa liberté d’appréciation.
Domaine étendu de la libre appréciation
En revanche, en l’absence d’une telle décision8 « le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci ». Dès lors, il revient au ministère public et à la partie civile de démontrer la fausseté des faits dénoncés, ce qui peut se révéler difficile.
En effet, la preuve qu’un fait ne s’est pas produit est parfois qualifiée de diabolique (probatio diabolica) car elle serait difficile, voire impossible, à rapporter. Mais le plus souvent la preuve d’un fait négatif consiste en la preuve positive du fait contraire. Ainsi, et pour en rester au cas d’espèce évoqué plus haut, la fausseté d’une dénonciation de viol dans un bureau fermé pourra être rapportée en apportant la preuve du caractère consenti du rapport sexuel ou de son impossibilité matérielle (en démontrant par exemple que l’auteur ne pouvait pas être présent là où les faits dénoncés se sont produits).
La dénonciation calomnieuse donne donc au tribunal l’occasion d’examiner la réalité des faits, en renversant les rôles (le plaignant d’hier devient le prévenu, et inversement) et en faisant fi de leur éventuelle prescription. Demeurent, en revanche, les difficultés probatoires en matière de violences sexuelles : prouver la fausseté d’un viol ou d’une agression sexuelle est aussi difficile que de prouver leur réalité en l’absence d’éléments matériels.
Dans une affaire de dénonciation calomnieuse les rôles sont certes renversés, mais il faut prendre garde de ne pas prolonger l’analogie avec la procédure initiale outre mesure, car c’est bien la responsabilité du dénonciateur qui est en jeu et pas celle du plaignant-dénoncé.
Aussi, une relaxe pour défaut de preuve de la fausseté des faits ne signifie pas pour autant que les faits ont bien été commis ; échouer à démontrer que les faits ne sont pas avérés ne signifie pas qu’ils soient vrais.
Une telle décision offre néanmoins une bien belle occasion pour le prévenu, moyennant une entorse au droit, de s’en saisir pour conclure que les faits dénoncés étaient vrais, la culpabilité du dénoncé étant présentée comme le revers logique de l’innocence du dénonciateur.
C’est un risque, a fortiori dans un dossier médiatique, qu’il faut savoir mesurer.
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« Patrick Poivre d’Arvor porte plainte pour « dénonciation calomnieuse » contre 16 femmes l’accusant de harcèlement et violences sexuelles », franceinfo, 27 avril 2022. ↩︎
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Critères relatifs à la qualité du destinataire de la dénonciation, le caractère spontané de celle-ci et son caractère préjudiciable. ↩︎
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Olivier Talabardon, Jurisclasseur (Dénonciation calomnieuse), 2021. ↩︎
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Qui, dans son rapport annuel de 2009, suggérait la modification de l’article 226-10 du Code pénal. ↩︎
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Crim., 6 mai 2014, n°13-84.376. ↩︎
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Crim., 2 sept. 2014, n°13-84.247. ↩︎
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Crim., 13 mars 2012, n°11-85.563 ; 14 sept. 2010, n°10-80.718. ↩︎
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On mentionnera par exemple, que tel est le cas en présence d’une décision de classement sans suite (Crim., 12 octobre 2010, n°10-80.157). ↩︎