Le délit de mise en danger par diffusion d'information
Suite à l’assassinat du professeur Samuel Paty, la loi du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République » a créé dans le Code pénal un article 223-1-1 sanctionnant la mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’information. Quels sont donc les éléments constitutifs de ce délit ? Comment, en pratique, sera-t-il constaté et réprimé ?
L’article 36 de la loi « confortant le respect des principes de la République », votée en 2021, a créé dans le Code pénal ce nouvel article 223-1-1 réprimant :
« Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer »
Le délit réprime donc la diffusion d’une information dont l’expéditeur savait ou ne pouvait ignorer qu’elle risquerait d’être utilisée pour porter atteinte à l’intégrité physique ou aux biens d’une personne. Le délit peut être constitué sans même que l’atteinte ait finalement été commise : c’est la diffusion d’une information dans le dessein de nuire qui est ici sanctionnée.
La diffusion d’une information
Il faut en premier lieu une « information relative à la vie privée, familiale ou professionnelle permettant [d’identifier ou de localiser] » une personne physique.
On retrouve là des éléments communs avec la notion de « donnée personnelle » que le RGPD définit comme « toute notion se rapportant à une personne physique identifiée ou localisable », ce qui peut donner, par analogie, une idée de l’ampleur des informations concernées.
La catégorie de la vie privée, déjà fournie, est complétée par la référence au cadre familial et professionnel, ce qui permet d’inclure des informations publiques susceptibles d’être utilisées pour identifier ou localiser une personne1.
L’absence de référence au domaine scolaire a été justifiée par un renvoi au domaine de la vie privée, ce qui ne convainc pas tout à fait, d’autant plus que l’aggravation des peines en cas de minorité de la victime témoigne d’une attention particulière à la situation des plus jeunes, particulièrement présents sur les réseaux sociaux.
Le champ est donc particulièrement large, mais on peut supposer que l’information concernera principalement des adresses postales (du domicile, du travail ou des lieux fréquentés), des horaires (de travail ou de sortie) ou, plus généralement, toute information se rapportant à des habitudes de vie. Dans le cas de Samuel Paty, des messages sur Facebook avaient révélé les nom et prénom du professeur, ainsi que l’adresse du collège dans lequel il enseignait.
En second lieu, l’information doit faire l’objet d’un acte de communication : « révéler », « diffuser » ou « transmettre », « par quelque moyen que ce soit ». Si le délit a été créé dans l’intention de réprimer la diffusion d’information sur les réseaux sociaux, tous les modes de transmission sont envisagés. Par ailleurs, il convient de relever que l’auteur du délit n’est pas nécessairement l’auteur du message initial : la diffusion d’une information publiée antérieurement pourrait également faire l’objet de poursuites sur ce fondement.
Le risque d’atteinte à la personne ou aux biens
L’information transmise doit exposer autrui (ou des membres de la famille d’autrui) à « un risque direct d’atteinte à l’intégrité de la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer ». C’est le cœur de l’article 223-1-1 situé dans la section du Code pénal relative aux « risques causés à autrui » : si l’information diffusée n’expose pas à un risque alors le délit n’est évidemment pas constitué.
Un risque direct
La nouveauté vient ici de l’adjectif direct : si le Code pénal connaît le risque simple ainsi que le risque immédiat2, il ne comporte aucune mention du risque direct. Le risque étant défini comme la probabilité de la survenance d’un évènement défavorable, on conçoit que le risque immédiat soit plus probable que le risque simple. Dès lors, dans la hiérarchie des probabilités, où le risque direct s’inscrit-il ?
La lecture des débats en commission donne une idée plus précise de cette notion de risque direct. En effet, l’expression « risque immédiat », initialement prévue dans le texte, a finalement été remplacée par celle de « risque direct » au motif que « ce n’est pas tant la temporalité qui est en cause que le caractère direct et tangible du risque3 ». Le risque direct induirait donc une probabilité de survenance du risque plus forte que le risque simple, sans considération du moment de sa survenance.
Un risque que l’auteur ne pouvait ignorer
L’auteur doit également avoir exposé autrui à un risque qu’il « ne pouvait ignorer ». Il n’est donc pas nécessaire de démontrer que celui-ci avait une parfaite connaissance de l’existence du risque lors de la communication de l’information, mais seulement que le contexte pouvait raisonnablement laisser craindre une utilisation malveillante de cette information.
La connaissance du risque sera appréciée in concreto, en prenant en compte les modalités de la diffusion : quel est le ton de la discussion ? son sujet ? les échanges pouvaient-ils laisser penser à l’existence d’un risque ? quel public a pu avoir accès à ces messages ?
L’intention de nuire
L’auteur doit avoir diffusé l’information dans le but d’exposer autrui à un risque direct d’atteinte. Là encore, l’intention sera déduite du contexte dans lequel l’information a été communiquée.
Répression de l’infraction
Le délit est réprimé d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Si l’infraction est commise au détriment « d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou titulaire d’un mandat électif public ou d’un journaliste » (alinéa 2) ou au détriment d’un mineur (alinéa 3) les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
Ces peines peuvent sans mal être qualifiées d’excessives (ou d’incohérentes) dès lors qu’on les rapporte à celles prévues pour des délits connexes.
Ainsi, bien que le délit de mise en danger de la vie d’autrui fasse encourir à la victime un « risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente », la peine encourue n’est (en comparaison) que d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.
Aussi, et comme les parlementaires l’avaient justement fait remarquer, la peine de 3 ans d’emprisonnement pour mise en danger par diffusion d’information ne tient pas compte de la gravité de l’atteinte effective, qui peut être minime. Ainsi, la dégradation d’un bien appartenant à autrui est punie d’une peine de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende et les violences volontaires sans ITT sont punis d’une simple contravention de 4e classe.
L’écart entre la peine prévue pour la mise en danger et celle qui sanctionne l’acte délictuel effectivement commis ne semble pas avoir ému le gouvernement outre mesure. Sur ce sujet, le garde des Sceaux affirmait qu’« au fond, peu importe ce qui en résulte […] c’est la mécanique infernale qui passe par les réseaux sociaux et qui pourrit notre société qu’il est aujourd’hui impératif d’arrêter ».
L’argument tenant à l’impératif de répression semble donc justifier ici que l’on se dispense de la hiérarchie des infractions (qui témoigne, rappelons-le, de la hiérarchie des valeurs de la société). On serait tenté de lui répondre, avec Beccaria, que « la vraie mesure des crimes est le tort qu’ils font à la nation et non l’intention du coupable ».
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On pense, par exemple, aux statuts d’une société librement accessibles qui permettraient de localiser son siège social ainsi que, logiquement, le lieu de travail de son dirigeant. ↩︎
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Dans le cas du délit de mise en danger de la vie d’autrui (art. 223-1) ou de l’exposition à un risque dans le cadre de la traite d’êtres humains (art. 225-4-2, I, °4). ↩︎
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Madame Laetitia Avia (rapporteuse du texte), jeudi 21 janvier 2021. ↩︎