Des différentes modalités de recours au bracelet anti-rapprochement en procédure pénale
Après deux tentatives d’expérimentations sous forme de faux-départs en 2010 et 2017, la loi du 28 décembre 2019 « visant à agir contre les violences au sein de la famille » va inscrire pour de bon le bracelet anti-rapprochement (BAR) dans le droit français. Dès lors, les possibilités de recours vont se multiplier à tous les stades de la procédure.
En effet, les acteurs de la chaîne pénale ainsi que les responsables d’association de prévention des violences sexistes et sexuelles s’accordent pour dire que le développement du dispositif est décevant au regard de ses promesses et de ses résultats à l’étranger, en particulier en Espagne où le bracelet anti-rapprochement est bien plus généralisé1.
Les causes du retard semblent être de deux ordres. D’une part, le bracelet anti-rapprochement est, comme tout dispositif technique, exposé à des risques de dysfonctionnement. Or, s’agissant d’une mesure prise en prévention d’un risque accru de violence conjugale, ces erreurs sont génératrices d’un stress psychologique important pour la personne protégée, ce qui peut expliquer certaines réticences à prononcer un BAR. D’autre part, on peut relever qu’en Espagne le traitement des violences intrafamiliales est plus global et ne reposent pas uniquement sur un ensemble de mesures mais sur des juridictions spécialisées dans le traitement de ces violences, ce qui tend à réduire le coût matériel et humain de la mesure.
Le BAR peut être octroyé avant la phase de jugement (I) ou comme peine, prononcée ou aménagée (II). Mais avant de revenir sur ces différentes modalités d’octroi du BAR il est utile de rappeler son fonctionnement en pratique.
0 - Le bracelet anti-rapprochement, comment ça marche ?
Le BAR vise à prévenir tout rapprochement entre le porteur du bracelet et une personne protégée, en les géolocalisant en permanence afin de déterminer la distance qui les sépare.
En effet, lorsqu’il décide de mettre en œuvre un BAR, le juge détermine deux zones :
- une zone de pré-alerte, d’un rayon de 2 à 20 Km autour de la personne protégée : si cette zone est franchie par le porteur du bracelet, alors il est contacté par des opérateurs techniques afin de changer de direction.
- une zone d’alerte, d’un rayon de 1 à 10 Km autour de la personne protégée : si cette zone est franchie par le porteur du bracelet et qu’il ne répond pas aux appels du télésurveillant, alors ce dernier va contacter les forces de l’ordre afin que celles-ci s’assurent d’abord de la sécurité de la personne protégée puis, dans un second temps, interpellent le porteur du bracelet.
Le BAR requiert donc que la personne protégée soit également géolocalisée. C’est la raison pour laquelle son consentement à la mise en place de la mesure est requis ; si elle l’accepte, la géolocalisation de la personne protégée est assurée par un boîtier électronique.
En pratique, le bracelet anti-rapprochement présente des lourdeurs indéniables. En raison du nombre d’acteurs mobilisés dans la mise en œuvre et le suivi de la mesure2 ainsi que de ses conséquences accessoires sur la vie du porteur du bracelet3 (nonobstant l’atteinte à la liberté individuelle, qui en est le principe même).
1 - Le bracelet anti-rapprochement dans la phase pré-sentencielle
C’est peut-être dans la phase pré-sentencielle que le bracelet anti-rapprochement est le plus susceptible de démontrer son utilité, en permettant d’atteindre le point d’équilibre entre la réduction du risque de renouvellement de l’infraction et le respect du caractère exceptionnel de l’incarcération.
Si le plus souvent il est susceptible d’être prononcé dans le cadre d’un contrôle judiciaire (A), il peut plus exceptionnellement être prononcé en complément d’une assignation à résidence sous surveillance électronique (B).
A. Le BAR en cas de placement sous contrôle judiciaire
La complexité de la mise en œuvre du BAR et son caractère particulièrement attentatoire aux libertés de la personne placée sous contrôle judiciaire font de l’instruction le cadre privilégié de son prononcé.
Comme le prévoient les articles 138-3 et suivants du Code de procédure pénale, le BAR peut être prononcé dans le cadre d’un placement sous contrôle judiciaire sous 3 conditions cumulatives :
- la personne mise en examen encourt une peine d’au moins trois ans d’emprisonnement pour une infraction commise à l’encontre de son (ex-)conjoint, (ex-)concubin ou (ex-)partenaire de PACS ;
- les interdictions de se rendre au domicile de la partie civile et d’entrer en contact avec elle sont prononcées, mais sont insuffisantes pour prévenir le renouvellement de l’infraction (art. R.24-15 CPP) ;
- la partie civile consent expressément à la mesure4.
L’ordonnance prononçant l’octroi du BAR est motivée et prononcée par le juge d’instruction ou le juge des libertés de la détention, conformément aux prescriptions de l’article 145 du Code de procédure pénale (R. 24-14 CPP).
Elle détermine les distances d’alerte et de pré-alerte ainsi que la durée de la mesure, qui ne peut excéder 6 mois, mais peut être prolongée pour une même période sans que la durée totale ne dépasse deux ans5.
À la fin de l’instruction le maintien sous bracelet anti-rapprochement peut être prononcé par une ordonnance « distincte spécialement motivée » en cas de renvoi devant le tribunal correctionnel ou bien il continue de produire ses effets en cas de renvoi devant la cour d’assises6. Mais dans tous les cas, la durée totale de la mesure ne saurait excéder 2 ans (instruction incluse donc).
Le BAR peut également venir en renfort des interdictions édictées dans le cadre d’un contrôle judiciaire dans des situations de renvoi beaucoup plus communes : renvoi en comparutions immédiates, convocation par procès-verbal, comparution à délai différé ou décision de renvoi à une audience ultérieure (art. R.24-19 CPP).
Enfin, on rappellera qu’en vertu de l’article 144-2 CPP, toute décision ordonnant la mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire peut prévoir que celle-ci soit placée sous un contrôle judiciaire avec interdiction de rentrer en contact avec la partie civile dès lors que la mise en liberté « est susceptible de faire courir un risque à la victime ». Or, depuis un décret du 24 décembre 2021, cette interdiction peut être renforcée par l’octroi d’un bracelet anti-rapprochement (art. D. 1-11-2 CPP).
B. Le BAR en cas de placement sous ARSE
Le bracelet électronique peut également être prononcé en renforcement d’une mesure d’assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE). L’utilité d’un tel dispositif est de réduire encore d’avantage les risques de rencontre entre le mis en examen et la personne protégée, le BAR prévenant leur rapprochement pour les périodes d’autorisation de sortie du lieu d’assignation à résidence.
Dans la mesure où le BAR vient compléter le dispositif prévu par l’ARSE, il convient de respecter les conditions d’octroi de cette dernière (sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici). Les conditions de prononcé de cette mesure sont donc moins sévères que celles du BAR mais plus exigeants que celles de l’ARSE, puisque si l’ARSE peut être prononcé pour un nombre d’infractions plus larges, le BAR ne peut y être adjoint qu’à la condition que les interdictions de se rendre en certains lieux et d’entrer en contact soient prononcés mais jugées insuffisantes à prévenir le risque de renouvellement de l’infraction à elles seules (R.24-24 CPP).
On peut relever la lourdeur d’un tel dispositif, qui peut nécessiter que soit réalisée l’étude de faisabilité technique par le SPIP dans le cadre d’une ARSE7 ainsi que la mise en place opérationnelle du BAR. Pour remédier à cette complexité – et favoriser le prononcer de cette ARSE renforcée – il conviendrait d’envisager un dispositif unifié ou de fondre le BAR dans le régime de la surveillance électronique mobile qui implique déjà une mesure de géolocalisation8.
2 - Le bracelet anti-rapprochement comme peine prononcée ou aménagée
A. Le BAR lors du prononcé de la peine
Par renvoi de l’article 132-45 °18 bis, l’article 132-45-1 du Code pénal instaure la possibilité de contraindre un condamné au port d’un bracelet anti-rapprochement, en renfort de l’interdiction de se rapprocher de la victime prononcée dans le cadre d’un sursis probatoire.
Il faut donc que la peine prononcée soit une peine de sursis probatoire, en répression d’une « infraction punie d’au moins trois ans d’emprisonnement commise contre son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas, ou commise par l’ancien conjoint ou concubin de la victime ou par la personne ayant été liée à elle par un pacte civil de solidarité ».
Dès lors, la juridiction peut prononcer, au titre des mesures probatoires, une interdiction de se rapprocher de la victime à moins d’une certaine distance fixée par la décision et, « afin d’assurer le respect de cette interdiction », l’astreindre au port d’un BAR.
Le consentement de la victime et du condamné sont tous deux requis, mais n’emportent pas les mêmes conséquences : le refus de la victime fait obstacle au prononcé de la mesure tandis que le refus du condamné constitue une violation de son obligation et peut conduire à la révocation du sursis (et donc à l’exécution d’une peine d’emprisonnement ferme).
Prononcé dans le cadre d’un sursis probatoire, le BAR constitue donc une mesure plus sévère et plus contraignante que les seules interdictions d’entrer en contact avec la victime ou de se rendre à proximité de son domicile9, souvent prononcées dans les affaires de violences conjugales.
B. Le BAR lors de l’exécution de la peine
Aménagement de peine – Le port d’un bracelet anti-rapprochement peut enfin être prononcée dans le cadre d’un aménagement de peine, qu’il s’agisse d’une semi-liberté, d’un placement à l’extérieur ou d’une détention à domicile sous surveillance électronique (art. R.60-1 CPP).
À l’instar du BAR prononcé dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le BAR prononcé lors d’un aménagement de peine n’est pas une mesure autonome mais vient en renforcement des interdictions de se rendre en certains lieux déterminés et de contacter la victime, dès lors que celles-ci sont jugées insuffisantes à elles-seules pour prévenir le risque de renouvellement de l’infraction.
Logiquement, toute pénétration non autorisée du porteur du bracelet dans la zone d’alerte définie conduit au retrait de la mesure d’aménagement de peine.
Le Code de procédure pénale prévoit également la possibilité de prononcer un placement sous BAR en cas de fractionnement ou de suspension de peine, de suivi socio-judiciaire, de libération conditionnelle, de surveillance judiciaire ou de placement sous surveillance électronique mobile.
Peine mixte et permissions de sortir – L’article D.51 CPP, issu du décret du 24 décembre 2021, vient combler un espace laissé vacant dans la procédure au détriment de la lisibilité de la procédure.
Tel était le cas des permissions de sortir, notamment lorsqu’une personne était condamnée à une peine mixte : le délai d’exécution du sursis probatoire comprenant un BAR était logiquement suspendu le temps de l’exécution de la partie ferme de l’emprisonnement et ne commençait à courir qu’à la fin de l’incarcération. Raisonnement logique donc, mais qui permettait au condamné de bénéficier de permissions de sortir sans être astreint au port du BAR, pourtant prononcé pour la partie de la peine exécutée en milieu ouvert.
Or, désormais, en vertu du nouvel article D. 51 CPP, les interdictions de contact ou de paraître « demeurent applicables pendant le temps ou la personne est incarcérée » et il en est de même du « dispositif électronique mobile anti-rapprochement, même si l’obligation de port du dispositif électronique est suspendue pendant le temps d’incarcération de la personne ». Des mesures dont le délai d’exécution est suspendu sont donc désormais applicables.
L’article D. 51 vise les dispositions de l’article 138-3, ce dont on doit conclure qu’il trouve également à s’appliquer lorsque le BAR est prononcé dans le cadre pré-sentenciel10.
S’il est louable de vouloir assurer le respect des interdictions édictées au bénéfice d’une personne protégée, le dispositif juridique se heurte à deux limites. D’une part il conduit à une contradiction juridique, l’exécution d’une mesure pouvant désormais être à la fois suspendue et applicable. D’autre part, il paraît difficile – sinon impossible – de concilier la lourdeur pratique et juridique de mise en place du bracelet anti-rapprochement avec le système des permissions de sortir, dont l’intérêt réside précisément dans la souplesse avec laquelle elles peuvent être accordées.
Avec un peu de malice, on serait tenté de dire qu’il existe autant de cas de recours au BAR que de BAR effectivement prononcés. S’il est certes louable d’avoir prévu son recours à de multiples stades de la procédure, on peut craindre que dans de nombreux cas ne subsiste que l’encre sur le papier.
Il est en effet difficile d’omettre le poids humain et matériel que constitue la mise en place de cette mesure, qui se conciliera difficilement avec des renvois à quelques mois ou avec le prononcé de permissions de sortir de quelques jours. Il conviendrait de développer d’abord son usage aux seuls cadre du contrôle judiciaire et du prononcé de la peine afin d’être à la hauteur des promesses faites aux plaignantes qui, depuis 2019, sont systématiquement informées de la possibilité de mettre en place un bracelet anti-rapprochement11.
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En Espagne 10 000 bracelets sont déployés chaque année tandis qu’en France environ 900 bracelets sont actuellement en activité. Source : « Bracelets antirapprochement : un outil précieux au développement laborieux », S. Brethes et C. Poloni, Médiapart, 18 novembre 2022. ↩︎
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Sans être exhaustif on mentionnera : le SPIP et une association agrée d’aide aux victimes pour la mise en place opérationnelle, des téléopérateurs pour la surveillance de la mesure et les forces d’intervention en cas de violation des interdictions. Ses acteurs sont bien évidemment en lien avec le parquet et le magistrat qui a prononcé la mesure peut également être saisi pour en modifier les modalités d’usage. ↩︎
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Notamment concernant la santé du porteur du bracelet : un examen médical peut être ordonné afin de vérifier la compatibilité de la mesure avec l’état de santé du porteur du bracelet (R. 24-17 CPP), mais en tout état de cause le port du bracelet est incompatible avec la réalisation d’un scanner ou d’une IRM. ↩︎
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Ce qui est normal dans la mesure où elle sera astreinte au port d’un boîtier de géolocalisation. Notons que le consentement de la personne mise en examen n’est pas requis pour l’octroi de la mesure, mais que son refus constitue une violation du contrôle judiciaire susceptible de justifier son placement en détention provisoire. ↩︎
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La décision de prolongation de la mesure fait l’objet d’une nouvelle ordonnance motivée. ↩︎
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Conformément aux prescriptions des articles 179 et 181 du Code de procédure pénale. ↩︎
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Étude de faisabilité obligatoire dans les cas visés aux °4 et °5 de l’article 142-6 CPP, sauf « décision de refus spécialement motivée par le juge d’instruction » (D.32-4 CPP). ↩︎
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En effet, l’ARSE peut être exécutée sous la forme d’une surveillance électronique qui permet de détecter le franchissement d’une zone géographique (art. 142-5§1 CPP) mais également sous la forme d’une surveillance électronique mobile (prévue notamment pour les violences commises contre son (ex-)conjoint/concubin/partenaire) (art. 142-5 §5 CPP). ↩︎
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Respectivement prévues aux °13 et °9 de l’article 132-45 CP. ↩︎
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Par exemple, dans le cas où une personne est condamnée et détenue dans une première affaire et placée sous contrôle judiciaire avec BAR dans la seconde : les permissions de sortir devront être effectuées en portant un bracelet anti-rapprochement. ↩︎
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Art. 15-3-2 CPP. ↩︎